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tomorrow massacre : « Früh » (premiere)

Trois garçons, une fille, d’infinies possibilités.
Pour paraphraser un couplet de Guerilla Poubelle, « non je ne pense pas au sexe, mais plutôt à… » la rencontre improbable entre quatre musiciens aussi antinomiques que peuvent l’être des gens d’âges et de parcours différents, réunis autour de leur passion commune pour le bruit, celui qui fait du bien aux tympans.
tomorrow massacre, un nom comme une déflagration, en référence à la fois au culte Brian Jonestown – massacre étant ici à prononcer à la française – et au titre beau à pleurer du groupe néozélandais The Human Instinct, du genre à te transpercer le cœur dès la première écoute. Un choix approprié.
A l’origine de ce projet débuté en solo, Kévin-Paul Cahay, multi-instrumentiste autodidacte de 22 ans (un unique passage par un cours de guitare l’a convaincu qu’il serait bien mieux dans sa chambre à expérimenter), biberonné à Led Zep, McCartney et au Live at Donington d’AC/DC, qui a commencé à enregistrer ses propres compos guitare-basse-batterie dès l’âge de 10 ans avant d’investir dans un vieux Farfisa et de tester tous les instruments qui lui tombaient sous la main.
La flemmasse au raccourci facile que je suis (une pigiste musicale quoi) aurait presque tendance à l’introniser « Will Toledo français », artiste avec lequel il partage – outre son stakhanovisme de la publication bandcamp – certaines influences, même si ses maîtres se nomment plutôt Daniel Johnston, Syd Barrett, David Bowie ou en encore Frank Zappa.

Formée à Penninghen et d’abord engagée sur la voie du dessin (entre autres pour la Maison Hermès), Eléonore Navarro a quant à elle toujours su qu’elle monterait un jour sur scène derrière des fûts. Après une expatriation au Mexique, c’est en inscrivant son fils au centre d’animation de son quartier qu’elle décide de prendre des cours de batterie, dont le prof n’est autre que Paul Péchenart, vieux briscard du rock malgré son jeune âge presque christique aux innombrables – ceci n’est pas une hyperbole – projets parallèles (écoutez celui avec son père, fondateur historique des Dogs, dont il a hérité à la fois du talent et du patronyme).
C’est de la rencontre entre Eléonore et Kévin en août 2014, alors qu’ils bossaient tous les deux chez un glacier, qu’est réellement né.e cet.te hy(bri)dre qui se réinvente à chaque sortie. Suite au classique « Ah mais toi aussi tu fais de la musique ? », ils commencent à répéter ensemble et après trois sessions de reprises, se mettent à travailler les morceaux de Kévin. Très vite, le duo guitare-batterie est rejoint par Paul, d’abord à la basse puis à la deuxième guitare lorsqu’il invite son acolyte de toujours, l’excellent et indispensable bassiste (en particulier du merveilleux groupe post-rock BIEN A TOI) Esteban Avellan, à compléter la quadrature de ce cercle pas si vertueux.
Ce qui aurait pu être un clash des cultures entre deux musiciens professionnels d’un côté, une batteuse quasi débutante et un petit génie foutraque de l’autre a en réalité produit une émulation phénoménale aussi bien sur disque qu’en live. Les codes d’Esteban et de Paul, qui ont l’habitude de jouer depuis plus de quinze ans juste et carré (sous l’influence première des Deftones et autres Linkin Park) ont été bousculés par cet autre binôme radical surnommé à un moment le Death Squad, pour le côté « sans concession » (comme disent les magazines de rock) de Kévin (lequel monte sur scène sans jamais accorder sa guitare) et l’énergie débordante d’Eléonore. Mais comme le souligne Paul, « quelle que soit l’expérience passée dans la musique, le nombre d’années de pratique, on peut apprendre en permanence les uns des autres.« 



Après un premier album « Blue China » sorti en février dernier, qui a suivi l’EP fondateur « Tender Index« , tous deux entièrement écrits par Kévin entre influences noise, post-punk et cold wave, ils retournent ensemble en studio au cours de l’été 2017 pour accoucher de « Früh », leur premier « vrai disque en tant que groupe« , enregistré à deux batteries avec Vincent Bédouin de BIEN A TOI et pour lequel Kévin avoue avoir été « heureux d’être contredit, de passer un peu de la dictature à la démocratie« .
Son séjour à Londres chez Antoine Larrey (tatoueur et guitariste de BIEN A TOI) a débouché sur la co-écriture des instrumentaux « Hôtel Room » et « Froh » (NDLR : content/joyeux en allemand, ô ironie), qui donneront une couleur post-rock à l’album. C’est également à cette occasion qu’a été choisie la pochette, peinture moyenâgeuse trouvée au hasard de pérégrinations sur Internet et dont le titre signifie en gros « perdu à travers les mots ». « Les morceaux les plus importants, les plus touchants de l’album sont pour moi les instrumentaux, alors que ce sont les plus dépouillés, dont « Früh » qui est en moi depuis des années. Je rêvais d’aller en Allemagne. N’importe où dans le pays. J’ai finalement pris des billets pour Cologne. Après avoir posé mon sac, j’ai commandé une bière, on m’a servi une Früh (NDLR : marque de bière traditionnelle locale). Je ne connaissais pas la signification du mot mais j’ai adoré le visuel avec le Umlaut. Puis j’ai cherché son sens et il m’est apparu comme une évidence que ce serait le titre de l’album : je suis le premier levé que ce soit en tournée ou en studio, je me réveille toujours très tôt avec une mélodie. Ça décrit également assez bien notre rythme en tournée pour aller d’une ville à une autre : tôt, perdus à travers les mots« .
La ville Rhénane a également inspiré l’éponyme et fabuleuse Köln, aux arpèges d’une tristesse infinie, dont les guitares ont été enregistrées sur le premier petit ampli datant de 1971 ayant appartenu à Paul Péchenart sénior, retrouvé dans une cave familiale il y a quelques années et récemment retubé.
Prenant en assurance en explorant de nouvelles contrées aussi bien géographiques, linguistiques que musicales, ce nouvel effort est plus hétéroclite et surtout riche de ses participations, à l’instar de l’exquise To the boy, composée et chantée par Paul sur un texte de Kévin.
Il est plus pop aussi, à l’image du déroutant Tus Ojos Marrones, inspiré par une rupture de Kévin – classic shit – et la découverte grâce à Eléonore du crooner mexicain Alejandro Fernández. Celle-ci y fait d’ailleurs ses débuts – très réussis – au chant. Et alors qu’il n’avait au départ pas vocation à se retrouver sur l’album, c’est sur l’insistance de Paul que le titre a été gardé et sublimé par la trompette de son pote Lucas Pineau. Une riche idée que de s’ouvrir aux autres (c’est ce qu’il m’a dit hier soir).



Ce groupe « équilibré dans le déséquilibre » dixit Eléonore, qui ne répète quasi jamais, a également un réel don pour happer son auditoire lors de concerts viscéraux. Dernier exemple en date, une prestation incroyable dans un endroit pour le moins singulier, l’hôpital Bichat, à l’occasion d’une fête d’internes en psychiatrie, où ils ont réussi à toucher aussi bien des gens pas forcément férus de musique que la blasée que je suis.
L’album sort officiellement demain en digital mais pour éviter toute früh/stration, il est d’ores et déjà en écoute intégrale ici.




MAUD