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Palatine : Princes en leur royaume (interview)

Leur nom évoque dans l’imaginaire collectif quelques souveraines d’ascendance germanique venant de siècles passés, attestant (de manière potentiellement capillotractée) de la rigoureuse mais impériale inventivité de Vincent Ehrhart-Devay (guitare, auto-harpe, chant), sur l’impulsion duquel s’est formé Palatine l’année dernière, avec la complicité du guitariste Jean-Baptiste Soulard (lui-même également fondateur des formidables Tango Kashmir). Bientôt rejoints par Adrien Deygas à la contrebasse et Toma Milteau à la batterie, le quatuor s’est imposé en quelques mois comme l’un des plus originaux mais néanmoins solides espoirs de la scène française actuelle.
A leur actif pour le moment, une captation live de quatre titres au Studio Pigalle datant du mitan 2015, dont trois ont d’ores et déjà été diffusés. Mais surtout des concerts qui fascinent un public grandissant, scotché par leur maîtrise et leur musicalité.

Côté influences revendiquées mais jamais plagiées, tant Palatine a su créer un univers bien particulier avec une étonnante maturité pour un groupe à peine né, ils citent aussi bien Nirvana, Nick Cave & The Bad Seeds ou PJ Harvey, qu’Anthony and the Johnsons, Timber Timbre et Fleet Foxes, sans oublier… Gainsbourg. Pas seulement un name droping de qualité, mais un puissant mélange, cohérent et classieux, à leur image.

On les a rencontrés (sauf Toma, déjà parti se coucher) autour d’une bière après leur set à la Maroquinerie en première partie de Radio Elvis le 6 avril dernier. Le lendemain, ils étaient sacrés lauréats du Prix du Festival Chorus, ce qui malgré la concurrence de très haute volée, était amplement justifié.
Les princes Palatine n’en sont qu’au début de leur ascension vers le trône disputé du rock français, mais on gage d’ores et déjà que 2016 sera l’année de leur couronnement mérité.

GBHM : Vous avez assuré ce soir à la Maroquinerie la première partie de Radio Elvis et, chose suffisamment rare pour le mentionner, leur public déjà présent en nombre (dont la majorité vous a découverts à cette occasion) vous a réellement acclamés, exactement comme ce fut le cas le 7 mars dernier au Trianon avec le public de Feu ! Chatterton. Comment avez-vous ressenti ce concert ?

Vincent : Nous ne sommes pas spécialement complaisants avec nous-même, la question qu’on se pose est surtout de savoir si on s’est senti bien sur scène, si on a senti que le public était derrière. C’est quelque chose qu’on ressent immédiatement, si les gens sont réactifs.

JB : Et là en l’occurrence on était vraiment bien. Un public qui adhère à Palatine c’est un public concentré en général, avec un regard et une attention particulière.

GBHM : Je confirme que pour l’avoir observé, le public m’a semblé très attentif, pas du tout dissipé comme le sont souvent les gens devant une première partie avant l’arrivée sur scène de la tête d’affiche pour laquelle ils ont payé leur place.

Vincent : C’est vraiment cool, ça ! C’est une réussite alors ?

GBHM : Incontestablement ! Et pour rebondir sur la réussite, suite au concert du 7 mars au Trianon que je viens de mentionner, vous êtes partis faire une mini-tournée intitulée « And Then the Mountains ». Une personne de votre entourage m’en a parlé, la qualifiant « d’évolution inversée » [rapport à la jauge des lieux voire à l’attention du public, NDLR]. C’était quoi le concept, l’idée derrière ?

Tous : [rires en chœur]

Vincent : C’est pas mal trouvé l’ « évolution inversée ». L’idée était de se retrouver ensemble sur une période de plusieurs dates un peu à la chaîne…

JB : …pour éprouver le fait de jouer tous les jours dans des conditions pas toujours forcément favorables, voir comment faire passer notre musique à des publics assez différents. Ce sont des conditions finalement peut-être plus difficiles que de jouer en première partie d’un groupe établi.

Adrien : L’idée était aussi de sortir un peu de Paris, où nous avons nos marques, nos traces. Quand on va en Province, que ce soit dans des bars, dans des petites SMAC, on ne sait pas à quoi s’attendre. Le premier soir où nous avons joué, on s’attendait à ce qu’il y ait au maximum 20 personnes. Alors qu’il y en a eu beaucoup plus. Au final, à chaque concert il y avait des gens. Le plus dur, ce n’est pas tellement que les gens viennent, car en général ce sont des habitués de ces salles, mais c’est de les faire rester. A chaque fois, c’était des salles complètement différentes mais on a réussi à tenir le cap et ils sont en majorité restés. C’était une super expérience pour ça.

GBHM : Vous ne faites décidément rien comme tout le monde. Au lieu de sortir un EP « classique » comme la plupart des jeunes groupes, vous avez choisi de présenter une captation live de titres enregistrés au Studio Pigalle. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Adrien : Lorsque nous nous sommes retrouvés à quatre il y a maintenant un peu plus d’un an, la sauce a pris très vite et on s’est aperçu qu’il se passait vraiment quelque chose lorsque l’on jouait ensemble. Quand tu enregistres un vrai EP produit en studio, il y a quelque chose de très réfléchi, alors que nous au contraire, nous voulions nous présenter avec la fraîcheur de ce que nous faisons en live, en étant les plus honnêtes possible. On a enregistré ces captas en juin alors qu’on ne jouait ensemble que depuis janvier. C’était notre façon de dire « coucou » au monde.

Vincent : Par ailleurs, un live, c’est une journée d’enregistrement et basta. Ensuite, il ne reste qu’à monter et à mixer la vidéo. Alors que pour réaliser un EP, il faut plusieurs jours d’enregistrement et encore du boulot derrière. Là, c’était rapide. L’idée était de faire écouter notre musique et de trouver des concerts.

Adrien : Et le projet se prêtait plutôt bien à un enregistrement live en plus, ce qui n’est pas forcément toujours le cas.

GBHM : La forte émulation qu’il y a entre vous, malgré la relative jeunesse du projet, d’autant plus à l’époque de ces vidéos, y est très prégnante et se retrouve décuplée sur scène comme on a pu le voir ce soir…

Adrien : Avec Vincent, on avait déjà un ancien groupe. Alors finalement faire de la musique ensemble, c’est quelque chose que l’on fait depuis cinq ans. Quand JB et Vincent ont commencé à monter le répertoire, les choses se sont donc faites hyper simplement.

JB : On arborait les mêmes sentiers, on allait aux mêmes genres de concerts. Il n’y a rien d’étonnant à ce que ça fonctionne quand on entre en studio, même si ce n’est pas forcément acquis, on est d’accord. Mais c’est comme si on avait un peu eu le même parcours. On écoutait des musiques communes et quand tu te mets à faire de la musique ensemble, il y a de forts points de ralliement. Il était presque normal qu’on aille dans la même direction.


GBHM : Je trouve très intéressant que vous ayez choisi de publier des vidéos pour présenter le projet. En effet, votre musique, que vous qualifiez de folk/rock est très « visuelle », ce qui est sûrement aussi lié à ses côtés un peu blues / americana (en particulier sur « Baton Rouge »). Ça vous brancherait que vos titres soient utilisés pour de la synchro ciné ? Voire de composer directement des musiques originales pour un film ?

Vincent : Moi je suis complètement pour, car je viens du cinéma et du dessin animé à la base. Dans l’histoire du groupe, il y a une relation forte de la musique à l’image. Cela fait partie intégrante du projet. On envisage d’ailleurs des idées de ciné-concerts, ou de mettre de la musique sur des productions visuelles qu’on aurait réalisées.

JB : Il y a certes le format chanson pour présenter le projet au départ mais Palatine c’est beaucoup plus large que ça. Il ne faut pas le réduire à ce seul format, qui certes fait partie du développement, mais l’idée est de montrer rapidement tous nos autres côtés.

GBHM : A cet égard, c’est toi Vincent qui as créé les visuels incroyables que l’on peut voir sur votre site.

Vincent : Les visuels qui sont sur le site sont liés aux titres enregistrés en live qu’on a déjà sortis. Il y en aura d’autres par la suite, en fonction des nouveaux projets. On ne va pas récupérer ce qu’on a fait avant, on va créer à chaque fois quelque chose de nouveau, le contenu va s’enrichir en même temps que la musique. On va presser le live pour démarcher et j’ai réalisé un visuel pour la pochette. J’en créerai d’autres pour l’EP à venir.

GBHM : L’EP sortira quand du coup ?

JB : On a cet automne en ligne de mire, cela s’écrira en fonction des partenaires que nous allons rencontrer.

GBHM : Entre Chorus demain soir [l’interview a été réalisée le 6 avril, NDLR], les Inouïs du Printemps de Bourges la semaine prochaine et tous les concerts dont on a parlé précédemment, 2016 semble être un peu votre année. A part l’EP en automne, quelle est la suite ?

Adrien : C’est vraiment l’EP qui sera le déclencheur de la suite. On va tourner pour le promouvoir, le défendre, jouer un maximum. Tout va dépendre des partenaires que l’on pourra rencontrer…

JB : … de la stratégie que nous allons définir, de la vision d’ensemble à adopter en fonction des retours.

GBHM : Et donc de ces tremplins auxquels vous participez ? Car ce soir vous avez fait la première partie de Radio Elvis, lauréat des Inouïs du Printemps de Bourges de l’année dernière, auxquels vous participez vous-même le 15 avril. J’imagine que vous y pensez un peu. Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ? Avoir le même parcours qu’eux ?

Vincent : On est vraiment super contents d’aller jouer à Bourges et on est très heureux de la réussite de Radio Elvis, qu’on connaît depuis longtemps, on a suivi leurs débuts. On aimerait évidemment une jolie réussite aussi. Après, sur la forme ou le parcours, ce sera peut-être différent. Mais on se souhaite de faire ça tout le temps ! [rires]

GBHM : Pour en venir un peu à la musique quand même, Vincent, ta voix si particulière, à la fois sur la brèche et prenant aux tripes, est un élément fort qui porte parfaitement les textes très poétiques que tu écris. Qu’est-ce qui t’inspires ? Des lectures ?

Vincent : Je n’ai pas spécialement de gens à citer quant à mes influences sur l’écriture. Je sais qui je lis, je sais ce que j’aime mais je ne m’inspire de personne en particulier. Je ne réfléchis pas en ces termes pour l’écriture des mots. Je ne pourrais pas te dire d’où me vient mon écriture. J’aime la littérature fantastique, également l’absurde, j’aime Gogol par exemple, Edgar Poe ou Maupassant, des écritures simples en général, mais je n’ai pas de maître à penser. Et je ne sais pas si mes lectures se retrouvent dans mon écriture. Certainement dans l’idée, dans l’esprit, mais pas techniquement. C’est un ensemble de tout ce que j’ai pu absorber.

GBHM : Et en dehors des influences, quelles sont tes sources d’inspiration quant aux thèmes évoqués ? Tes textes sont très personnels, il me semble.

Vincent : Oui, tout à fait, c’est très personnel. C’est quelque chose que j’ai appris à faire avec le temps. En tout cas j’ai appris à m’en rendre compte. Car lorsque j’écris, ce n’est pas forcément sur un évènement bien précis mais une fois la chanson écrite et analysée, je m’aperçois que c’est très personnel, très intime. Ce qui fait que je n’ai aucun problème à la chanter, à la défendre sur scène. Je n’ai pas l’impression d’être une imposture, de jouer un rôle ou de prendre une pose. Je pense que ça se ressent.


GBHM : Cette voix est vraiment l’un des instruments du groupe, à mettre au même niveau que les guitares, la contrebasse ou la batterie, à tel point qu’on pourrait presque parler de groupe « instrumental », le tout s’accordant de manière extrêmement maîtrisée. Comment ça se passe en termes de dynamique de création, de composition ?

Vincent : C’est le fruit de l’osmose musicale qu’il y a entre nous. Moi j’écris les chansons en général de mon côté, paroles et musique, et ensuite on retravaille les ambiances, les textures, les niveaux tous ensemble.

JB : C’est un dosage d’instruments. Tu sens rapidement ce qui va être lourd ou ce qui à l’inverse va devenir très efficace. Il y a quelques références aussi, qui résonnent forcément avec des choses que l’on a entendues. Des fois c’est conscient, des fois ça l’est moins.

Vincent : Il y a un dosage aussi par rapport à notre travail en groupe. A ce que j’apporte de mon côté et aux apports de chacun. On essaie de garder la base et ce n’est pas parce que l’on est quatre qu’on va rajouter trois fois plus de choses une fois tous ensemble. Ce qui donne des chansons finalement assez ténues. Et c’est vrai que ça reste très instrumental, il n’y a finalement pas tant de textes que cela.

GBHM : Et vous écoutez quoi sinon [en dehors des groupes « influences » cités en début d’article, NDLR] ?

Tous [en chœur] : Radio Elvis ! [rires]

Vincent : Les groupes dont tu parles, nos influences, c’est surtout moi qui les écoute.

Adrien : Mais ce sont néanmoins des références communes, des points fédérateurs. Après chacun apporte sa patte. Toma a une grosse culture blues et rock. Dès qu’il est arrivé dans le groupe, il a apporté cela. Et en même temps, il y a dans son jeu une vraie recherche jazz sur les dynamiques. En réalité on écoute plein de chose, mais est-ce vraiment révélateur de ce qu’on fait ensemble ? Je ne sais pas.

GBHM : Ce sont en tout cas des influences intelligemment digérées. Par exemple, mon premier coup de cœur fut pour « Noir Nord », morceau au départ lancinant et sensuel avec une voix à la Anthony and The Johnsons, puis un twist de fin complètement fou qui transfigure l’ambiance à la fois vocale et instrumentale pour aller vers une pop extrêmement jouissive. C’était d’ailleurs très pertinent de choisir ce titre pour clôturer votre set.

Adrien : C’est marrant que tu dises ça parce que très souvent la voix de Vincent, on lui prête des références que Vincent n’a pas. Quand on a commencé à faire de la musique ensemble, à aucun moment Vincent ne me disait qu’il écoutait ce groupe. Récemment lors de notre concert au Musée Eugène Delacroix, la Directrice nous a dit que ça lui faisait penser à Elvis Costello. Tout le monde y trouve des choses, qui n’étaient pas forcément conscientes pour nous.

GBHM : C’est d’ailleurs fluctuant sur un même titre, pour en revenir par exemple à « Noir Nord ». La tessiture de la voix de Vincent se modifie, au moment où changent le rythme et la dynamique entière de la chanson.

Adrien : Exactement.

GBHM : Puisque vous m’en parlez, c’était comment ce concert dans un musée ?

Adrien : C’était génial !

JB : Peut-être plus difficile car ça demande une concentration particulière, le public est extrêmement proche physiquement.

Adrien : Dans cette formule d’un petit lieu où on joue en semi-acoustique en trio, il y a un côté musique de chambre. Tu as une écoute du public qui est complètement différente. C’est assez vertigineux. Moi je trouve cela plus confortable de jouer sur des grosses scènes devant plus de monde que des tout petits lieux où tu…

JB : … peux voir le public dans les yeux.

Vincent : Mais quand l’écoute se crée, il y a un truc qui te porte qui est vraiment incroyable.

PROPOS RECUEILLIS ET RETRANSCRITS PAR MAUD