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La Route du Rock : du 13 au 16 Août 2015 (Présentation + Interview avec François FLORET et Alban COUTOUX)

Le 15 août, ce n’est pas qu’une vague fête religieuse catho qui t’offre un jour férié (enfin quand elle ne tombe pas un samedi, damn) et des bouchons à profusion, c’est surtout comme tous les ans à la même époque le défilé breton des vrais amoureux d’indé (rock / pop / électro) lors de la Route du Rock – Collection Eté.
Cette année, pour sa 25ème édition qui se déroulera du 13 au 16 août, le festival malouin a mis les petits plats dans les grands en conviant entre autres le samedi la (plutôt rare) grande prêtresse islandaise Björk. L’autre bonne nouvelle, mais qui est loin de surprendre tout habitué de la RDR qui se respecte, c’est que le reste de la programmation est à la hauteur : éclectique, classieux et inégalé par le reste des festivals estivaux franchouillards établis.

© Pauline Auzou

C’est dire à quel point effectuer un choix succinct parmi les artistes venant célébrer ce quart de siècle relève de la gageure. Le nombre de signes de cet article étant néanmoins limité, je me contenterai de ceux qui me tiennent plus particulièrement à cœur.

Jeudi 13



Ça commence plutôt fort avec l’electronica des teutons The Notwist qui joueront leur classique  « Neon Golden » sorti en 2002 et l’americana des essentiels Sun Kill Moon.

Vendredi 14



Entre le trio explosif d’Atlanta mi soul sixties mi no-wave Algiers, le rock garage de Fuzz avec à sa tête l’inénarrable Ty Segall, l’électro-pop fêtarde de RATATAT, le retour des mélancoliques Timber Timbre, sans oublier la référence électro Rone et tous ceux que je n’ai pas pu citer (pour les raisons exposées ci-avant), le vendredi sera immanquable.

Samedi 15



Entre Björk donc, le petit prodige Daniel Avery, le Frenchy farfelu Flavien Berger, les planants Kiasmos et les fascinants The Soft Moon, la Grand’messe indé sera dite, prosternez-vous joyeux teufeurs.

Dimanche 16



On terminera en beauté avec l’adepte du DIY Jimmy Whispers, l’ancien Fleet Foxes adoré Father John Misty, les énervées Savages, les abrasifs Viet Cong et le foufou Dan Deacon.

En attendant le mois d’août (pense bien à prendre tes préventes ICI), pour un avant-goût de l’esprit Route du Rock, on te conseille d’aller faire un tour au Trabendo le 31 juillet pour la Route du Rock Party avec les espagnoles MOURN, les brestois Djokovic et les rennais Baston. Et pour te mettre l’eau à la bouche, on est allés papoter de bon matin dans un café de l’est parisien avec les passionnés et passionnants François Floret et Alban Coutoux, respectivement directeur / programmateur et co-programmateur de La Route du Rock.

GBHM : Cette année, on fête le 25ème anniversaire du festival et c’est un peu le moment du bilan. La motivation du départ est-elle toujours intacte ? Quel est votre moteur pour continuer après toutes ces années ?

François : Oui, on fait le constat qu’on est toujours motivés et passionnés. On a envie de se projeter encore dedans, combien d’années personne ne peut savoir, ça peut s’éteindre du jour au lendemain pour X raisons. On a l’impression qu’on est toujours dans une espèce de quête du graal, à savoir la plus belle programmation. Et tant qu’on restera passionnés de musique, qu’on écoutera de la musique du matin au soir, qu’on sera émus aux larmes sur une petite nappe de synthé ou un riff de guitare, on continuera et c’est pour ça qu’on est super fiers d’arriver à 25 ans avec une vraie honnêteté dans notre démarche. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait une année où on a fait le festival pour le faire. On a chaque année eu envie de montrer quelque chose de neuf, de faire découvrir de nouveaux talents, c’est pour ça qu’on a appelé ça « Collection hiver » et « Collection été ». C’est ce qu’on a envie de partager, de faire découvrir au fur et à mesure de nos propres découvertes. La passion est là, on n’en est plus à sauter dans tous les sens, mais elle est suffisante pour continuer à fabriquer une Route du rock qui la tient justement.

GBHM : Et continuer encore pendant 25 ans…

F : (rires) Alors continuer pendant encore 25 ans je ne suis pas sûr.

GBHM : Pas forcément avec les mêmes, mais un jour passer le flambeau pour que l’aventure continue ?

F : Ah oui ça carrément.

GBHM : Tel le Phoenix, la RDR renaît régulièrement de ses cendres après des coups durs. Toi François ça fait des années que tu tires la sonnettes d’alarme sur la difficulté à maintenir un festival à flot (entre autres, mais pas seulement, en raison de l’augmentation exponentielle des cachets), mais tu n’es plus seul. Que t’inspire la Cartocrise [pour se faire une idée de l’ampleur des dégâts, c’est par ICI, NDLR] parue en janvier de cette année et régulièrement mise à jour ?

F : Que dire ? Il y a deux choses. Tout d’abord, on est à une période où il ne peut y avoir des tas de festivals sans qu’il y ait de casse. Et ce n’est pas seulement à cause des cachets. C’est préjudiciable pour nous en tant que petit festival, sûrement plus que pour d’autres, mais l’idée globale c’est que les groupes ne peuvent pas se diviser, le public non plus, donc s’il y a une explosion des festivals, il y a forcément de la casse. Après il y a une deuxième étape plus récente et qui me fait plus peur, c’est le désengagement. Tu évoques la Cartocrise, c’est ça le fond du problème, on est dans une période de crise économique nationale et européenne, on parle beaucoup de la Grèce en ce moment, on est en plein dedans. Beaucoup d’évènements ne pourront pas survivre sans subventions. Nous, peut-être que je vais être trop optimiste, mais on n’a jamais été biberonnés aux subventions donc on est peut-être moins en danger que d’autres. On a certes des subventions, à savoir 15% du budget. C’est clair que si on les perd, on est mal, c’est le strict minimum vital qu’on puisse attendre  des politiques. Si on descend en dessous comme ça risque d’être le cas, on a une baisse de 10% de la part de la Mairie de St Malo par exemple, ça devient dangereux quoi. Ça veut dire qu’il faut trouver d’autres solutions, il n’y en a pas 36, c’est soit  tu augmentes le billet et tu te fais tirer dessus par tes festivaliers qui ne sont pas des vaches à lait, soit tu trouves d’autres financements. C’est d’ailleurs ce qu’on est en train de faire, avec des actes de mécénat puisqu’on est dans une contrainte économique, il faut corriger cette contrainte par un avantage économique. Ça paraît évident, il y a peu de partenaires qui veulent donner pour donner.

GBHM : Et donc il faut des contreparties derrière. De quel ordre ?

F : En tout cas pas un simple partenariat de visibilité. Donc qu’est-ce qui marche ? Clairement, les impôts. On fait une défiscalisation de 60% grâce à la Loi Mécénat votée sous Chirac, qui s’applique assez peu dans le milieu culturel, en tout cas en ce qui concerne les musiques actuelles, c’est plutôt pour le classique, l’opéra et compagnie. Pour un mécène, c’est plus facile d’aider la « Grande musique » que les musiques actuelles. Mais ça commence à venir. Il y a des gens qui sont très forts pour ça. Nos copains des Eurockéennes par exemple, ça fait longtemps qu’ils ont un club des partenaires qui est énorme, les copains des Vieilles Charrues c’est pareil. Nous on commence, car on sait qu’on sera obligé de trouver d’autres financements très vite.

GBHM : Mais justement, est-ce que le salut ne pourrait pas aussi venir de la diversification? Vous avez développé la Route du Rock Booking, la mise en place de la collection hiver, les Route du Rock Sessions…

F : Oui mais le booking ce n’est pas ça qui va rapporter de l’argent.

GBHM : Mais ce n’est pas intéressant par exemple en termes de visibilité ?

F : Oui et non. Ce qui peut être intéressant à l’avenir c’est d’avoir une structure qui propose plusieurs axes. Je ne sais pas si tu sais, mais on gère aussi une salle de concerts à St Malo qui s’appelle la Nouvelle Vague, qui n’a rien à voir avec la RDR. Le projet artistique a plus à voir avec les scènes type SMAC. A côté, on a effectivement le booking et les deux festivals. On se crée un réseau qui est du coup très riche, on peut s’adresser à tous les interlocuteurs du milieu de la musique, sur différents registres. A un agent, on peut lui proposer d’avoir un artiste de son catalogue pour la salle mais aussi pour le festival. On fait nos preuves en donnant des concerts, un agent étranger voit qu’on est des interlocuteurs complets et compétents et sera davantage amené à nous  donner des groupes pour le booking. Les activités RDR s’enrichissent l’une de l’autre, elles sont complémentaires.
Après ce n’est pas ça qui va nous amener de l’argent immédiatement mais ça nous permet de nous ancrer dans l’économie des musiques actuelles en France. Il n’y a pas de réaction immédiate. Pour la salle, on est en délégation de service public donc on ne gagne pas d’argent. Le booking, on est juste à l’équilibre, on l’a atteint pour la première fois cette année ce qui est plutôt satisfaisant. Le booking, on l’a développé au sein de la RDR mais il n’a pas été rentable pendant 3-4 ans. Ce qu’on perdait dessus on le récupérait sur le festival. Maintenant tout doucement, il commence à arriver à l’équilibre, ce qui est très intéressant. Mais globalement on est super vigilant car financièrement ça reste quand même très dur.

GBHM : La Route du Rock, c’est aussi sa sacro-sainte ligne artistique, qui depuis quelques temps devient de plus en plus électro j’ai l’impression, et cette année en particulier. Quel est le parti pris, s’il y en a un ?

Alban : Il n’y a pas trop de parti pris. C’est vrai qu’on tend vers l’électro mais c’était déjà le cas l’année dernière. Les groupes les plus importants étaient sur la scène électro l’année dernière avec Darkside, The XX, Todd Terje, Moderat, etc. Cette année on a Björk en tête d’affiche, mais on a aussi Ratatat, Jungle, Daniel Avery. Après évidemment ce sont des artistes qu’on écoute. Et puis c’est aussi le schéma de programmation, où on aime bien terminer la soirée sur des choses plus dansantes. L’idée c’est de commencer doucement à la plage, puis c’est rock au Fort et on termine sur des choses plus club, plus électro. Essentiellement en live et on y tient, même s’il y a quelques DJ sets. Mais des formules comme Jungle ou Ratatat par exemple, on tenait absolument à les avoir en live. Et c’est vrai qu’historiquement on l’a toujours un peu fait, depuis la fin des années 90, avec DJ Shadow, en 2000 on a eu Roni Size, la dimension électronique a toujours été plus ou moins présente dans le festival. Après l’équilibre se joue aussi entre les artistes que les agents proposent, notre budget, on essaie de composer avec tout ça et d’avoir quelque chose de plutôt équilibré. C’est vrai qu’on est sur un spectre assez large contrairement à ce qu’on pourrait croire en se basant simplement sur le nom du festival. Entre Fuzz, le groupe de Ty Segall qui est du pur garage californien et Jungle, il y a un grand écart mais il existe néanmoins une cohérence qui se dessine quand même.

GBHM : Sur la qualité de la prog’ donc.

A : Oui, merci. On essaie de s’y tenir.

GBHM : Et sinon le cadeau que vous vous êtes faits pour les 25 ans, c’est Björk en tête d’affiche ou plutôt le moment nostalgique revival 90’s avec Ride ?

F : (rires)

A : Alors justement on n’a jamais voulu faire de cet anniversaire un instant nostalgique, une espèce de best of des années précédentes. Ça ne nous intéressait pas. Après Ride, c’est vrai que forcément ils font partie des groupes qu’on écoutait à l’époque. Dans la trilogie on a fait My Bloody Valentine en 2009, Slowdive l’année dernière, c’était le dernier chaînon manquant de la grande famille. Ah, il y a aussi The Jesus and Mary Chain qu’on n’a pas fait dans la famille shoegaze noisy pop anglaise du début des années 90’s. Moi Ride je ne les ai pas vus, mais les échos de concerts sont plutôt très bons sur la tournée actuelle, donc je ne suis pas inquiet par rapport à ça. Le côté Björk, c’est une artiste quand même assez rare. Et on a eu l’opportunité de la programmer cette année. Il n’y avait rien de prémédité par rapport aux 25 ans, ça s’est fait de manière assez spontanée en fait. Les coups de rétroviseur qu’on donne sur l’édition c’est l’expo photo du photographe Richard BELLIA qui est un habitué du festival et qui présente une vingtaine de clichés avec le soutien d’Agnès b sur l’entrée du festival, puis Les Éditions de Juillet à Rennes qui vont publier un ouvrage en octobre sur les 25 ans rédigé par le journaliste Philippe RICHARD, qui écrit pour Ouest France et Magic. Là, c’est le côté marqueur des 25 ans. Sur l’édition en elle-même on espère continuer à faire ce qu’on sait faire.

F : On a tout pour que ce soit une édition historique, sur la prog’ et en termes de fréquentation aussi. On a plutôt de l’avance sur l’année dernière. Tu parlais de cadeau pour les 25 ans, il y a l’artistique mais il y a aussi le terrain. Ce qui est bien cette année, c’est qu’il y a des travaux qui ont eu lieu.

GBHM : Le drainage du Fort ? J’allais y venir. Dites-moi tout.

F : On ne peut pas dire que ce soit mon cadeau parce que d’une, ce n’est pas moi qui paye et de deux ça a été tellement compliqué à mettre en place… C’est juste que ça fait quinze ans que ça dure et que c’est inadmissible qu’on ait mis autant de temps à le faire. Mais malgré tout c’est le truc positif de cette édition. C’est une pure coïncidence que ça arrive pour les 25 ans. C’est un vrai bonheur. S’il pleut, ça ne s’écoule plus.

GBHM : Au risque de me faire lyncher, la Route du Rock sans les bains de boue, ça perd un peu du mythe non ?

F : Mais nan justement, on ne veut plus entendre ça ! En fait, il existe deux clichés récurrents sur la RDR dans les médias, c’est la pluie et la galette-saucisse. Les trucs un peu débiles qui reviennent tout le temps. Mais je pense qu’il y a quand même des trucs plus intéressants à dire. Il ne pleut pas plus à la RDR qu’ailleurs. C’est juste que lorsqu’il flottait, jusqu’à aujourd’hui, ça devenait Verdun. Mais plus maintenant. C’est donc un cadeau pour le public en réalité. Car on a honte que le public patauge tous les ans.

GBHM : J’ai une dernière question qui n’a rien à voir, mais comme François considère Bernard Lenoir comme je cite « La rencontre qui a tout changé », je voulais savoir si vous avez écouté sa dernière compilation « L’inrockuptible » sortie hier ?

A : Perso je ne l’ai pas écoutée. C’est la troisième c’est ça?

GBHM : Oui, c’est ça. Axée pop française.

F : Ah ouais ?

GBHM : Oui, elle est un peu différente des deux premières du coup.

F : Moi non plus je ne l’ai pas écoutée. Mais Bernard, on l’adore. Il a été le parrain pendant longtemps. Il y avait des différences entre ce qu’il défendait à l’antenne et ce qu’on mettait à l’affiche du festival. Il y avait des cohérences évidemment mais ce n’était pas du 100%. Mais on respecte énormément des mecs comme ça, qui ont participé à faire découvrir tout un pan de la culture rock au plus grand nombre. C’est comme le mec de Canal qui est mort hier, je n’arrive pas à retrouver son nom, ça m’attriste vachement.

GBHM : Alain DeGreef ?

F : Oui c’est ça. Avec son émission « Les Enfants du Rock », il a fait beaucoup pour la culture rock en France. C’est vraiment une figure qui part. Et j’espère qu’à notre petite échelle, on contribue à apporter notre pierre à tout cet édifice.

PROPOS RECUEILLIS ET RETRANSCRITS PAR MAUD