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DJ OIL : l’invocation du spectre de la black music (Interview)

Chez GBH Music, on s’attache en général à parler d’artistes prometteurs en mettant en avant des newcomers. Mais on considère néanmoins que d’autres, bien que loin d’être des débutants, méritent également parfois un coup de projecteur.
C’est le cas du marseillais Lionel Corsini, aka dj oil, artiste à l’inaltérable capital sympathie qui après avoir officié pendant de nombreuses années au sein des cultes Troublemakers, a sorti le 19 janvier 2015 son deuxième album solo intitulé « PHANTOM » chez BBE (label briton abritant également DJ Vadim ou Gilles Peterson). 


Vétéran de la scène underground au sens noble du terme, Oil qui officie pourtant dans la musique depuis plus de 15 ans a attendu 2012 pour se lancer en solo avec l’excellent « Black Notes ». 


Son nouvel album enregistré dans les conditions du live, chez lui ou au cours de soirées, fait la part belle aux sons trip hop, hip hop, abstract hip hop et R’n’B, les références latino-world n’étant pas en reste.


Mélancolique voire sombre par moments (la répétition à l’envi du lancinent « Why don’t I just drop out ? » sur le titre éponyme), ce disque qui invoque dans son propos et sa facture le radicalisme noir des 60 et 70’s n’est pas spécialement taillé pour le clubbing. Loin d’être une accumulation de samples, il se présente comme une collection de tableaux spontanés, Lionel ayant enfanté une bonne partie de ces échantillons sonores en puisant dans des discours ou dans ses discussions avec des personnes rencontrées au gré de ses voyages – en particulier en Afrique, créant et jouant lui-même les beats, les percussions ainsi que les lignes de basse. 


A l’occasion de sa tournée de promo marathon, nous avons discuté avec lui du nouvel album évidemment mais aussi de collaborations au Zimbabwe et de l’importance de l’engagement en tant qu’artiste. Un mec bien, on vous dit.




GBHM : Dans les premières secondes du bien-nommé film « Trajectoire » qui t’est consacré, tu révèles que tu as acheté ton premier disque à l’âge de 6 ans. T’étais vachement précoce ! C’était lequel ?


DJ OIL : C’était une compilation d’Otis Redding. Mes parents écoutaient ce genre de musique, j’ai été élevé au rythm‘n’blues et à la chanson française.

GBHM : Oui, il me semblait bien avoir lu quelque part que ton père collectionnait les disques de soul et de R&B, ce qui a, j’imagine, fortement participé à ton initiation musicale. Tu penses exercer ce même rôle auprès de ta fille ?


DJ OIL : Elle s’intéresse à la musique depuis qu’elle est toute petite. Elle fait de l’éveil musical depuis sa naissance et à 5 ans, elle joue déjà un peu de guitare, de batterie, de percussions. Moi, je ne l’ai pas forcée, c’est elle qui nous l’a demandé et c’est quelque chose qui lui plaît. Elle a le sens du rythme et a la chance d’avoir une maîtresse musicienne qui termine chaque journée en chantant avec les enfants, accompagnée de sa guitare. Donc j’imagine que ça doit aider aussi. Et comme mon studio est à la maison, elle entend souvent de la musique. Par ailleurs, j’ai fait un morceau pour elle dans Black Notes qu’elle connaît par cœur. Moi je n’ai jamais fait de musique quand j’étais jeune, j’ai appris tout seul à jouer de quelques instruments mais je n’ai jamais eu d’éducation musicale. Mais la musique, je l’ai toujours collectionnée, écoutée et passé des heures à l’archiver, depuis tout petit.

GBHM : Ce nouvel album « Phantom », qui puise justement en partie dans tes archives, est strictement composé d’enregistrements live et serait donc basé selon toi sur des « accidents ». Est-ce que tu peux expliquer l’emploi de ce terme plutôt fort ?


DJ OIL : Comme il s’agit d’enregistrements live donc non réalisés en studio mais en concerts ou en soirées, je n’ai pas fait de retouche derrière, si ce n’est le temps passé sur le mastering, beaucoup plus d’ailleurs que pour « Black Notes », car il manquait par exemple par endroit des niveaux d’enregistrement. Donc automatiquement il y a des accidents, c’est-à-dire des choses qui ont été déclenchées qui n’étaient pas forcément prévues au départ parce que quand tu es dans une période de travail, de recherche etc. Des fois tu déclenches des samples ou tu joues directement des sons. Après, ça fonctionne ou pas. Là, sur « Phantom », il y a des moments où je sais que j’aurais pu éviter de lancer telle ou telle piste ou que j’aurais au contraire pu en rajouter et je ne l’ai pas fait parce que j’étais dans le moment, en situation de live et d’enregistrement direct. 
Après il y a des accidents musicaux, avec parfois des problèmes de tonalité, avec des discours ou des dialogues qui ne sont pas casés au bon moment. 
C’est aussi ce que j’appelle des accidents et qui selon moi font le charme de cet album. J’ai toujours du plaisir à réécouter les morceaux parce que ça me fait sourire ou ça m’énerve. Il y a beaucoup de travail en amont, avec énormément de strates. Je considère cet album un peu comme une galerie de peintures où l’on découvre des couleurs, des formes au fur et à mesure des écoutes, avec parfois des coups de pinceaux en trop ou au contraire qui manquent. Mais ça il n’y a que moi qui peux le voir ! 

GBHM : D’ailleurs, vu les conditions de leur enregistrement, ces titres qui pour reprendre tes propres mots « vivaient » ou « erraient » sur ton ordinateur tels des spectres et donnent son nom à l’album, je suppose que tu en as encore des caisses. 


DJ OIL : Tu ne crois pas si bien dire, j’en ai des cargaisons ! 

GBHM : Du coup, as-tu prévu de sortir un autre disque selon ce même concept d’enregistrement live ou ton prochain projet sera-t-il radicalement différent ?


DJ OIL : Je ne pense pas refaire la même chose, mais peut-être en rajouter en bonus sur le prochain album. Je ne sais pas encore. J’ai masterisé les morceaux qui restent et je les joue en soirée. Et j’aime bien ça, car forcément, il n’y a que moi qui les joue. Pour moi, « Phantom » ce n’est pas un album, mais un recueil de ces dernières années car plusieurs des morceaux ont été réalisés en même temps que ceux de « Black Notes ». C’est pour ça que je suis assez surpris de le sortir. Même s’il s’agit évidemment d’une bonne surprise. En réalité, je suis déjà passé à autre chose. J’ai enregistré un album début décembre que je vais bientôt mixer et qui devrait sortir en avril, également chez BBE, que j’ai produit avec un groupe du Zimbabwe.

GBHM : Tu parles du groupe Monkey Nuts, dont le rappeur Joshua Chiundiza a enregistré avec toi le titre « Beetlejuice » sur « Phantom » ?


DJ OIL : Oui c’est ça. C’est d’ailleurs un extrait de cet album enregistré en live au Zimbabwe.

GBHM : C’est vrai que travailles sur pas mal de projet collectifs comme celui-ci, mais je pense également par exemple à ta participation récente à l’album « Tranz Denied » de Magic Malik. Comment choisis-tu tes collaborations ?


DJ OIL : C’est quelque chose qui se fait assez naturellement, selon les affinités musicales. Monkey Nuts ce n’est pas de mon initiative. J’ai été invité au Zimbabwe pour jouer au festival HIFA qui est l’un des plus gros festivals en Afrique, à Harare. On m’a proposé de collaborer avec ce groupe en faisant des instrus. Ça a très bien fonctionné car ils sont vraiment cools et talentueux. Magic Malik, c’est une rencontre dans un festival il y a 15 ans. Depuis on n’a jamais arrêté de travailler ensemble. On s’entend très bien et je suis très heureux de travailler avec lui. Les autres collaborations font également partie de l’esthétique de ce que j’essaie de faire dans la musique. 

GBHM : Pour revenir à la sortie de « Phantom », tu n’as pas démarché les maisons de disques, mais c’est au contraire le mythique label anglais BBE qui t’a contacté après avoir découvert des titres postés sur ton Soundcloud. Après tant de galères avec tes différents labels, tu retrouves un petit peu foi en l’industrie du disque avec eux ? 


DJ OIL : Euh, pas spécialement. Je suis content que cet album qui n’était pas prévu soit édité par ce label. Après retrouver la foi, je n’ai ni regrets, ni remords par rapport au passé, car je regarde toujours devant moi. On verra bien ce qui va se passer avec cet album là et ce que ça va engendrer. Je n’ai pas spécialement de griefs contre qui que ce soit. Ou alors peut-être une ou deux choses à reprocher à certaines personnes qui ont  profité de mon travail et qui l’ont surtout saccagé, ce qui est un peu dommage. Mais à l’heure actuelle, je suis assez content car je me considère plutôt chanceux de pouvoir être édité  car c’est souvent assez compliqué.


GBHM : Relativement aux thèmes abordés dans tes morceaux, en particulier le racisme, je retrouve un peu de la tradition des « protest songs » US, à commencer par « Strange Fruit » interprétée en 1939 par Billie Holiday. Et sachant que tu présenteras ce weekend une pièce inédite en live dans le cadre d’un évènement organisé à la Friche Belle de Mai suite aux récents attentats parisiens, est-ce que tu te sens un « DJ engagé » ? 


DJ OIL : Un musicien engagé, oui, complètement. Bien sûr, je trouve ça assez naturel, je ne force pas ma personnalité. On le faisait avec les Troublemarkers aussi. Je trouve ça important que les textes utilisés se rapprochent de l’actualité, pas pour parler de l’amour, des fleurs et …

GBHM : du temps qu’il fait ?


DJ OIL : Oui, voilà. On le vit, ça va, c’est cool mais après il n’y a pas de vraie réflexion. J’ai toujours fait de la musique assez mélancolique mais pas triste, parce que ça correspond à ce que j’aime et aux couleurs sonores que j’apprécie. Après oui, le discours social, politique m’a toujours intéressé et je pense que c’est important quand on a la chance comme moi de pouvoir faire écouter de la musique à des gens de les amener quelque part. On peut très bien être dans la poésie mais avoir à la fois la poésie et le discours politique, c’est quelque chose qui me plaît. 

GBHM : C’est vrai que tu n’hésites pas à l’ouvrir, les élus marseillais en prennent régulièrement pour leur grade.


DJ OIL : Dans cette ère de l’information, les gens ne vont plus voter ou ne savent pas pour qui, mais ils râlent tout le temps, c’est assez compliqué comme situation. J’essaie de démêler certaines choses. 

GBHM : Avec le nombre d’artistes qui squattent les médias mais considèrent que ce n’est pas leur rôle de musicien de porter un message politique, ta démarche m’apparaît assez singulière, voire courageuse.


DJ OIL : Moi je ne me trouve pas courageux. Je me sens plutôt redevable par rapport au fait que des gens paient pour acheter ma musique, venir aux concerts. Du coup, je pense que c’est bien d’être proche de la vie de ces gens, de leurs préoccupations, même si ça ne m’empêche pas de faire des morceaux pour rendre hommage à ma famille. Je colle la musique que je fais à ma vie de tous les jours, ce qui est un peu normal, sans devenir non plus introspectif. Je ne veux pas devenir chiant [rires]. 

GBHM : Pour éviter de l’être de mon côté, j’en arrive à ma dernière question. Loin de moi l’envie de te voir mourir, mais en guise de conclusion, que choisirais-tu comme épitaphe ?


DJ OIL : [rires] Franchement, je ne sais pas du tout. Euh, « Le meilleur est à venir » je pense. En tout cas quelque chose de positif.


PROPOS RECUEILLIS ET RETRANSCRITS PAR MAUD